Il y a un temps pour tout… Ecl. – III.1
15 janvier 2013 Peter Graves Jr Aucun commentaire À la une, Chroniques Amadeus, Degriftour, Groupon Travel, innovation, l’Ecclesiaste, Pierre-Andre Romano 4128 vues
Comme nombre d’entre nous, je me permets parfois de jouer les donneurs de leçons, posture des plus agaçantes que je déteste subir des autres, mais que j’exerce avec l’enthousiasme naïf d’un prédicateur convaincu de sa (bonne) foi.
De l’Innovation
Concernant l’innovation, fils conducteur de cette rubrique, il est facile, voir trivial, de constater notre retard, de dénigrer nos confrères qui ont pour seul CRM un répertoire alphabétique Oxford à petit carreaux et dont la base de donnée des promotions TO est un lutin défraichi mis à disposition des clients sur la table basse en osier qui orne l’entrée de l’agence.
Ces handicaps s’expliquent, certes, par des contraintes structurelles difficilement contournables : la faiblesse des marges qui limite les capacités d’investissement, les lacunes progressivement comblées de l’enseignement du tourisme concernant le marketing et les technologies, le démarrage tardif d’internet en France…
Sur ce plan d’ailleurs, le tourisme bat des records, et pour cause : n’oublions pas qu’Amadeus, fournisseurs de GDS mais aussi des équipements informatiques des agences jusqu’au milieu des années 2000, interdisait les accès à internet sur leurs PC ! Alors que les entreprises de tous les autres secteurs maitrisaient l’arobase, les eternels parents pauvres de l’économie numérique envoyaient des fax (le papier rose/jaune/blanc des telex n’étant plus fabriqué il a bien fallu évoluer…) à leurs correspondant, sauf quand le chef d’agence, dans un moment d’égarement ou de compassion managériale, leur donnait un accès limité et contrôlé au seul pc de l’agence connecté, le sien.
Aujourd’hui encore, de nombreuses agences n’ont qu’une seule adresse email au nom de l’agence, partagée entre tous, héritage pathétique cette époque pas si lointaine.
Et pourtant le tourisme était très en avance sur son temps : rendons mérite aux créateurs de Dégriftour sur minitel ou des enchères de Nouvelles Frontières sur internet, deux concepts aujourd’hui entrés dans les habitudes du métier et des consommateurs, mais qui, il y a 15 ans étaient révolutionnaires. Sauf qu’il y a 15 ans, c’était trop tôt !
Les consommateurs n’étaient pas prèts, les voyageurs n’étais pas connectés, le paiement en ligne balbutiait…
Etre en avance sur son temps est valorisant mais souvent dangereux et peu rentable.
Les pionniers essuient les plâtres, les suiveurs posent tranquillement la peinture, les retardataires nettoient les pinceaux.
« Il a un temps pour tout » nous enseigne l’Ecclesiaste, ou en version start-up : le « Time to market », « La maturité technologique du marché » (ceux de ma génération qui ont joué à « bullshit ! » reconnaitrons l’expression) doit être prise en compte.
Ainsi, innover trop tôt est voué à l’échec : quand Clust lance à grand renfort de capitaux le premier site d’achats groupés, tout le monde convient que l’idée est intéressante mais les fonds investis sont à la hauteur du flop. Dix ans plus tard, Groupon est l’une des plus belles réussites du web, et Groupon Travel, n’en déplaise à ses détracteurs, est une agence de voyages des plus innovantes.
A l’inverse, créer aujourd’hui le site internet de son agence de voyages n’est utile que pour rassurer ses clients existants mais ne permettra pas de trouver de nouveaux clients, à moins d’investir quelques millions par mois pour essayer d’être visible.
« Il y a un temps pour rire et un temps pour pleurer »
… Alors quand et comment innover ?
Suivre les tendances signifie arriver trop tard, les anticiper risque de couter cher pour pas grand-chose. La réponse est dans l’observation des marchés et l’écoute des clients.
Si nous comparons le marché français aux autres, et notamment aux anglo-saxons, force est de constater que les mutations de ces marchés arrivent avec 5 à 10 ans de retard dans l’hexagone, alors pourquoi s’entêter à vouloir préserver une pseudo exception française qui n’a d’exceptionnelle que son retard sur ses voisins.
Les nouveaux modes de distribution, les systèmes d’information, les outils CRM permettant une communication ultra-ciblée, sont autant d’investissements que nous peinons à réaliser parce qu’ils représentent des montants conséquents, mais sans investir nous sommes condamné à stagner, et finalement à mourir.
« Il y a un temps pour planter et un temps pour récolter ».
Les fonds d’investissement français sont réticents à investir dans le tourisme à cause de la faiblesse relative de la rentabilité du secteur, à nous de les convaincre que l’avenir est aux loisirs et que les parts de marché valent parfois plus que les résultats comptables. L’innovation marketing est aussi essentielle que l’innovation technologique : aussi l’écoute des attentes des clients permet d’adapter son offre sans s’arc-bouter sur des modèles anciens en tentant désespérément de les convaincre que nous avons raison et que nous sommes les meilleurs. Erreur manifeste, les clients ont raisons par définition, pas nous. S’ils veulent composer eux-mêmes leurs voyages pour ne faire appel à nous que sur des segments complexes, adaptons nous ! S’ils veulent que nous leur répondions à 20h parce qu’ils sont en famille et disponible, adaptons nous !
S’ils veulent réserver un produit que nous n’avons pas référencé, trouvons-leur quand même ! s’il faut acheter en net et marger selon les clients, là encore, considérons cela comme une opportunité. Ce n’est pas une tendance d’avenir, le marché est aujourd’hui ainsi, et si nous réagissons encore avec quelques années de retard il ne sera plus temps de s’adapter, d’autres l’auront fait, et le font déjà.
« Il y a un temps pour se lamenter et un temps pour danser »,
En s’adaptant dès aujourd’hui nous pourrons bientôt à nouveau danser, pas seulement dans le carré VIP de la soirée Govoyages, mais aussi dans nos entreprises en constatant que les efforts, les investissements, l’observation et l’écoute, nous aurons mené au succès.
Pierre-André Romano
Sur le même sujet
Pourquoi le Tourisme de Pékin interdit désormais les photographes professionnels
Afin de tenter de limiter les « comportements perturbateurs » et les désagréments causés...
Pourquoi Hilton mise autant sur le tourisme en Egypte
Le groupe Hilton hotels est en passe de tripler sa présence en Égypte avec...
Allons-nous désormais également payer pour les bagages à main ?
Les compagnies aériennes ont commencé à imposer des frais sur les bagages à main...