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Il y a un temps pour tout… Ecl. – III.1

Comme nombre d’entre nous, je me permets parfois de jouer les donneurs de leçons, posture des plus  agaçantes  que  je  déteste  subir  des  autres,  mais  que  j’exerce  avec  l’enthousiasme  naïf  d’un prédicateur convaincu de sa (bonne) foi.

De l’Innovation

Concernant l’innovation, fils conducteur de cette rubrique, il est facile, voir trivial, de constater notre retard, de dénigrer nos confrères qui ont pour seul CRM un répertoire alphabétique Oxford à petit carreaux et dont la base de donnée des promotions TO est un lutin défraichi mis à disposition des clients sur la table basse en osier qui orne l’entrée de l’agence.

Ces  handicaps  s’expliquent,  certes,  par  des  contraintes  structurelles  difficilement  contournables : la  faiblesse  des  marges  qui  limite  les  capacités  d’investissement,    les  lacunes  progressivement comblées de l’enseignement du tourisme concernant le marketing et les technologies, le démarrage tardif  d’internet  en  France…
Sur  ce  plan  d’ailleurs,  le  tourisme  bat  des  records,  et  pour  cause : n’oublions  pas  qu’Amadeus,  fournisseurs  de  GDS  mais  aussi  des  équipements  informatiques  des agences  jusqu’au  milieu  des  années  2000,  interdisait  les  accès  à  internet  sur  leurs  PC !  Alors  que les  entreprises  de  tous  les  autres  secteurs  maitrisaient  l’arobase,  les  eternels  parents  pauvres  de l’économie numérique envoyaient des fax (le papier rose/jaune/blanc des telex n’étant plus fabriqué il  a  bien  fallu  évoluer…)    à  leurs  correspondant,  sauf  quand  le  chef  d’agence,  dans  un  moment d’égarement ou de compassion managériale, leur donnait un accès limité et contrôlé au seul pc de l’agence connecté, le sien.
Aujourd’hui encore, de nombreuses agences n’ont qu’une seule adresse email au nom de l’agence, partagée entre tous, héritage pathétique cette époque pas si lointaine.

Et  pourtant  le  tourisme  était  très  en  avance  sur  son  temps :  rendons  mérite  aux  créateurs  de Dégriftour  sur  minitel  ou  des  enchères  de  Nouvelles  Frontières  sur  internet,  deux  concepts aujourd’hui entrés dans les habitudes du métier et des consommateurs, mais qui, il y a 15 ans étaient révolutionnaires.  Sauf  qu’il  y  a  15  ans,  c’était  trop  tôt !
Les  consommateurs  n’étaient  pas  prèts,  les voyageurs n’étais pas connectés, le paiement en ligne balbutiait…
Etre en avance sur son temps est valorisant  mais  souvent  dangereux  et  peu  rentable.
Les  pionniers  essuient  les  plâtres,  les  suiveurs posent  tranquillement  la  peinture,  les  retardataires  nettoient  les  pinceaux.

« Il  a  un  temps  pour tout »  nous  enseigne  l’Ecclesiaste,  ou  en  version  start-up :  le  « Time  to  market »,  « La  maturité technologique  du  marché »  (ceux  de  ma  génération  qui  ont  joué  à  « bullshit ! »  reconnaitrons l’expression) doit être prise en compte.

Ainsi, innover trop tôt est voué à l’échec : quand Clust lance à grand renfort de capitaux le premier site d’achats groupés, tout le monde convient que l’idée est intéressante mais les fonds investis sont à la hauteur du flop.  Dix ans plus tard, Groupon est l’une des plus belles réussites du web, et Groupon Travel, n’en déplaise à ses détracteurs, est une agence de voyages des plus innovantes.
A l’inverse, créer aujourd’hui le site internet de son agence de voyages n’est  utile  que  pour  rassurer  ses  clients  existants  mais  ne  permettra  pas  de  trouver  de  nouveaux clients,  à  moins  d’investir  quelques  millions  par  mois  pour  essayer  d’être  visible.

« Il  y  a  un  temps pour rire et un temps pour pleurer »

…   Alors quand et comment innover ?
Suivre les tendances signifie arriver trop tard, les anticiper risque de couter cher pour pas grand-chose. La réponse est dans l’observation des marchés et l’écoute des clients.
Si nous comparons le marché français  aux  autres,  et  notamment  aux  anglo-saxons,  force  est  de  constater  que  les  mutations  de ces marchés arrivent avec  5 à 10 ans de retard dans l’hexagone, alors pourquoi s’entêter à vouloir préserver  une  pseudo  exception  française  qui  n’a  d’exceptionnelle  que  son  retard  sur  ses  voisins.
Les  nouveaux  modes  de  distribution,  les  systèmes  d’information,  les  outils  CRM  permettant  une communication  ultra-ciblée,  sont  autant  d’investissements  que  nous  peinons  à  réaliser  parce  qu’ils représentent  des  montants  conséquents,  mais  sans  investir  nous  sommes  condamné  à  stagner, et  finalement  à  mourir.

« Il  y a  un  temps  pour  planter  et  un  temps  pour  récolter ».

Les  fonds d’investissement  français  sont  réticents  à  investir  dans  le  tourisme  à  cause  de  la  faiblesse  relative de la rentabilité du secteur, à nous de les convaincre que l’avenir est aux loisirs et que les parts de marché valent parfois plus que les résultats comptables. L’innovation  marketing  est  aussi  essentielle  que  l’innovation  technologique :  aussi  l’écoute  des attentes des clients permet d’adapter son offre sans s’arc-bouter sur des modèles anciens en tentant désespérément de les convaincre que nous avons raison et que nous sommes les meilleurs. Erreur manifeste,  les  clients  ont  raisons  par  définition,  pas  nous.  S’ils  veulent  composer  eux-mêmes  leurs voyages pour ne faire appel à nous que sur des segments complexes, adaptons nous ! S’ils veulent que  nous  leur  répondions  à  20h  parce  qu’ils  sont  en  famille  et  disponible,  adaptons  nous !
S’ils veulent  réserver  un  produit  que  nous  n’avons  pas  référencé,  trouvons-leur  quand  même !  s’il  faut acheter  en  net  et  marger  selon  les  clients,  là  encore,  considérons  cela  comme  une  opportunité. Ce  n’est  pas  une  tendance  d’avenir,  le  marché  est  aujourd’hui  ainsi,  et  si  nous  réagissons  encore avec quelques années de retard il ne sera plus temps de s’adapter, d’autres l’auront fait, et le font déjà.

« Il y a un temps pour se lamenter et un temps pour danser »,

En s’adaptant dès aujourd’hui nous pourrons bientôt à nouveau danser, pas seulement dans le carré VIP de la soirée Govoyages, mais aussi dans nos entreprises en constatant que les efforts, les investissements, l’observation et l’écoute, nous aurons mené au succès.

Pierre-André Romano