[1]Les grandes manœuvres du transport aérien mondial sont lancées et bien lancées. L’affaire a commencé lorsque les grands transporteurs américains ont déclaré la guerre aux compagnies du Golfe, accusant ces dernières de recevoir des aides de la part de leurs Etats et de fausser ainsi les règles de la concurrence.
Il est d’ailleurs curieux de noter que les américains chantres de la liberté du commerce et eux-mêmes largement subventionnés par les règles du Chapter 11, soient les porte-drapeaux d’une réglementation commerciale plus dure.
Je note d’ailleurs que jamais dans l’histoire pourtant longue du transport aérien, certaines compagnies ont pu dégager des profits d’un montant jamais vu jusque-là au premier trimestre d’une année.
Or justement quelles sont ces compagnies ?
Et bien ce sont les 3 grands américains : Delta, United et American Airlines, lesquels ont tous profité des aménagements permis par le Chapter 11 pour se restructurer alors que les Européens ne disposent pas de telles facilités.
Mais les transporteurs du Golfe ne sont pas démunis de munitions. D’abord leur puissance est considérable, même si pour certains d’entre eux, elle vient de leurs Etats respectifs. Et puis ils sont finalement plébiscités par les clients qui en ont assez des services spartiates que leur infligent les compagnies occidentales.
Et cela n’est pas tout.
Etihad Airways a pris des participations très importantes dans 4 compagnies européennes : Air Berlin, Alitalia, Air Serbia et Etihad Régional (ex Darwin).
Quant à Qatar Airways, elle commence à faire de même en entrant au capital d’IAG pour un montant non négligeable proche de 10 %. Ce faisant, même si tout le monde s’en défend, les transporteurs du Golfe pèsent sérieusement sur la stratégie des compagnies européennes. Et on n’a pas tardé à s’en rendre compte.
Air Berlin est sortie de l’AEA (l’Association des grandes compagnies européennes) au prétexte que cette association ne défendait plus les intérêts de la compagnie mais qu’elle entrait dans une ère de protectionnisme peu compatible avec la libre concurrence.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul le groupe IAG vient lui aussi de sortir de l’AEA pour rejoindre, très étrangement, l’Association des transporteurs « low cost » européens.
C’est inéluctablement un coup très dur porté à ce centre de lobbying très actif auprès des autorités de Bruxelles où il est basé. On se demande d’ailleurs comment Alitalia peut éviter de suivre le mouvement.
Et puis dernièrement Paul Griffiths le CEO des aéroports de Dubaï, a, lors d’une conférence à Londres, porté une charge lourde contre les Alliances aériennes en rappelant qu’elles ne servent à rien sauf à faire du protectionnisme.
Sa voix porte car il faut rappeler qu’avec le nouvel ensemble en voie de finition, ce sont plus de 150 millions de passagers qui seront traités dans ce qui sera le plus gros centre aéroportuaire mondial et ce avant 2020. Et il a peut-être bien raison.
Car comment justifier qu’Alitalia, par exemple continue à appartenir à Skyteam alors qu’elle est détenue par un transporteur opposé à cette stratégie ?
Et que va-t-il se passer dans Oneworld alors que Qatar Airways, nouvel entrant devra cohabiter avec Air Berlin qui est détenu par son concurrent ?
Les fils sont ténus.
Finalement le principal attrait des alliances aériennes pour les consommateurs réside dans l’accumulation des » miles », mais que vaudront ces derniers si les compagnies ne sont pas certaines de rester dans ces ensembles artificiels.
Car ne nous y trompons pas, la concurrence reste féroce même entre transporteurs membres d’une même alliance.
Le monde du transport aérien international est en voie de grand changement. Pour le moment IATA reste le pivot mais pour combien de temps ?
Certes IATA possède encore l’arme magique du BSP, mais là encore les systèmes de paiement sont en grande mutation et il n’est pas certain que ce qui représentait un mode de règlement indéboulonnable jusqu’à peu de temps, ne soit pas fortement concurrencé par les outils disponibles sur Internet.
Je note d’ailleurs que la croissance régulière du transport aérien ne se reflète pas dans les résultats du BSP qui est en perte de vitesse dans tous les grands marchés.
La chance de IATA est d’avoir anticipé les changements et de s’appuyer sur le nouveau standard NDC (New Distribution Capability) qu’elle est en train de mettre en place.
Bref le changement est en marche. Il n’est pas certain que l’offensive des compagnies aériennes américaines contre celles du Golfe n’entraîne pas finalement des conséquences tout à fait imprévues.
Jean-Louis BAROUX