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Venise : un dernier rêve avant le réveil

Venise, en ce début de juin 2021 fait de ses rares touristes et visiteurs étrangers des V.I.P. On pourrait se croire en visite privée. Un bonheur coupable car il ne permet pas d’occulter les nombreux commerces fermés, certains définitivement. Ni le danger de cette mono-activité économique fondée sur le tourisme.

A Venise, ces temps-ci, on rencontre une espèce rare : les Vénitiens. Ceux qui vont travailler ou qui s’acheminent vers les universités. Des enfants sur le chemin de l’école ou quelques anciens marchant lentement en s’appuyant sur leur canne. D’autres, sont attablés aux terrasses, s’interpellant d’un trottoir à l’autre ou d’un quai à une barque. Sur le Grand Canal, les vaporettos croisent quelques rares gondoles de sortie et très peu de bateaux-taxi.

Dans le Cannareggio, au Nord de la ville, où j’ai pris mes quartiers, la superette ouvre à 9h30. Juste avant des livreurs en bateau ont déposé leurs marchandises sur le quai, devant la porte.

Avant d’entrer il faut se désinfecter les mains à la pompe distribuant du gel hydro-alcoolique et prendre un badge en plastique à rendre une fois les achats finis. S’il n’y a plus de badges cela veut dire que le magasin a atteint sa jauge de clients et qu’il faut attendre que certains sortent.

Dans toute la ville les consignes de sécurité sanitaire sont très scrupuleusement respectées. Ne vous avisez pas, même en plein air sur le vaporetto de glisser votre masque sous le nez ; vous seriez vite rappelé à l’ordre.

Dans la petite pharmacie au bas de mon immeuble on n’entre qu’un seul client à la fois. Les contrôles sont fréquents et un dépassement d’heure de couvre-feu (il était fixé à 23h) coûtait 260 € au contrevenant, à régler sur le champ.

Au fil des ruelles une autre Venise se révèle. Aux balcons de l’hôtel qui jouxte la Ca’d’Oro le long du Grand Canal, deux sculptures rappelant E.T., le petit extra-terrestre de science-fiction, scrutent les passants. Tout un symbole.

Au Campo San Bartolomeo, une horloge numérique en vitrine de la pharmacie Morelli fait le décompte, en temps réel, du nombre d’habitants de la ville depuis 1750.

Ils étaient alors 140 000 puis 174 800 en 1951 et à peine 51 000 le jour de mon passage. Les Vénitiens ont fui Venise devenue inhabitable.

Les touristes du moment sont très majoritairement des Italiens des régions voisines venant pour le week-end. Dans les rues c’est la langue italienne qui domine mâtinée de rares échos de français ou d’allemand.

Jamais Venise ne m’est apparue si paisible, offerte au regard en toute simplicité et dans toute sa beauté. Covid oblige, on réserve ses entrées aux musées ou aux concerts mais inutile de s’y prendre longtemps à l’avance.

Même le célèbre Pont des Soupirs ou celui du Rialto sont accessibles sans être pollués par des centaines de perches à selfies ou par des piétons statiques. Prendre un verre sur la terrasse du Danieli Palace et y contempler la vie ralentie du Grand Canal n’offre pas la moindre difficulté.

Le plus saisissant est la place San Marco et ses alentours. En semaine seuls deux cafés ouvraient en terrasse. Pour retrouver le mythique café Florian il fallait viser les vendredis, samedis ou dimanches (il est rouvert depuis).

On pouvait contempler à loisir les mosaïques dorées de la basilique changer de couleur au fil des heures et admirer cette véritable dentelle de marbre se découper sur le ciel bleu pur.

Pas de queue non plus pour y entrer. En contrepoint il faut noter aussi un autre phénomène récent, celui de nombreux mendiants dans les rues.

Attablée avec moi devant un Spritz, Cristina me confie apprécier le bonheur inespéré de retrouver sa vie de Vénitienne mais elle n’est pas optimiste. Après un mois d’ouverture globale, tout recommencera estime-t-elle.

Les masses de touristes irrespectueux, les énormes paquebots surgissant face à la place San Marco (*), le déversement des foules séjournant dans les immenses Resorts de Mestre, moins coûteuse en hébergement que le centre de Venise etc.

Alors oui, Venise, en ce mois de juin et avant l’été est un diamant d’un prix inestimable qu’un écrin bien cadenassé ne laissera pas se rouvrir de sitôt.

D’ailleurs chassez le naturel il revient au galop. La preuve… Ce petit bar-pâtisserie Rio Marin sur le Fondamenta del Rio Marin où j’allais chaque matin acheter les croissants avant d’y retourner pour y boire un café, finissant par sympathiser avec la responsable.

Le jour où toutes les tables étaient occupées, je me suis installée à la table de deux amis sans consommer en attendant qu’ils savourent leur cappuccino.

Peu de temps après, la patronne si avenante les jours précédents, nous priait de libérer l’espace, affirmant sans la moindre amabilité « je suis là pour faire des affaires et vous occupez une chaise utile à d’autres »…

Pas de quoi être optimistes comme me le confirmait Luca Chiais, gérant d’un magnifique hôtel 4 étoiles tout neuf, l’Aquarius, ouvert sur la pittoresque Campo San Giacomo dell’Orio. Pourtant il n’a ouvert son hôtel que depuis un an, en plein Covid, mais il redoute déjà les méfaits du retour au sur- tourisme. Il se dit peu confiant en une quelconque volonté des autorités à lutter contre.

En attendant, si vous le pouvez, allez profiter de cette période totalement exceptionnelle et bien plus abordable qu’à l’ordinaire.

*Dans l’immédiat les grands paquebots de croisière recommencent à se montrer dans Venise. Le premier d’entre eux a d’ailleurs été accueilli la première semaine de juin avec des manifestations de protestations des Vénitiens.

Il est question en un premier temps de leur faire jeter l’ancre à Marghera, donc toujours dans la lagune, en attendant la construction (mais d’ici quand ?) d’un nouveau port en-dehors de la lagune.

Evelyne Dreyfus