Samedi dernier le Bahreïn a créé la surprise en annonçant avoir déposé la candidature de Son Excellence Mme Mai bint Mohamed AL Khalifa au poste de Secrétaire Générale de l’OMT, l’Organisation Mondiale du Tourisme (ou UNWTO en anglais). En 2009 elle fut la première femme nommée au poste de Ministre de l’Information du Royaume de Bahreïn. Elle a occupé le poste de Ministre de la Culture et est la Présidente du Centre Régional Arabe du Patrimoine Mondial, et est aussi à la tête du Service des Antiquités et de la Culture de Bahreïn.
Cette candidature torpille le plan savamment élaboré par Zyrab Pololikashvi, l’actuel Secrétaire Général de l’OMT, qui avait tissé sa toile pour assurer sa ré-élection. Son plan était très simple et sentait bon les magouilles politiciennes de l’ancienne Union Soviétique. Pour être sûr d’être réélu il suffit d’être le seul candidat. Pour comprendre la manœuvre il faut se plonger un peu dans les arcanes de cette élection au poste de Secrétaire Général.
A l’OMT, à côté du Secrétaire Général, il y a un Comité Exécutif (CE) qui est en charge de contrôler les activités des services de l’OMT ainsi que sa gestion financière. Ce CE est composé de 35 membres de l’OMT représentant 20% des pays membres. Statutairement il se réunit 2 fois par an, une fois par semestre. Habituellement en Mai et vers le mois d’octobre.
C’est ce fameux CE qui reçoit tous les 4 ans les candidatures pour le poste de Secrétaire Général et qui a le privilège exorbitant de sélectionner lors de votes à huis clos l’unique candidat qui sera proposé à l’Assemblée Générale, et qui de ce fait sera forcément élu. En fait 20% des pays choisissent, les 80 autres % subissent.
Revenons à la tactique de Mr Pololikashvi. La réunion du CE du 1er trimestre 2020, avait été raisonnablement reporté pour cause de Covid-19 à la mi-septembre 2020.
Là, malgré les risques sanitaires, Zyrab Pololikashvi n’a pas hésité à organiser cette session du CE en Géorgie, son pays natal, alors même que à cette époque les réunions de l’ONU se faisaient en visio-conférence. Mais quelle belle occasion de recevoir somptueusement tous ces membres du CE qui ont le pouvoir de choisir l’élu. Pour une réunion du CE qui n’a duré que 4h15, les participants ont été invités à rester 4 jours en Géorgie, où les attendaient concerts, repas de galas et visites touristiques…
Parmi les points à l’ordre du jour communiqués dès la mi-août aux membres du CE figurait la fixation des dates des prochains sessions du CE. Mais ce n’est que quelques jours à peine avant la session du 15 septembre que le Secrétariat de l’OMT a indiqué que la 2éme session de 2020 serait décalé au 18 janvier 2021, ce qui semblait raisonnable.
Par contre il était annoncé que les 2 sessions se 2021 se tiendraient juste avant et juste après l’Assemblée générale programmée au Maroc à l’automne 2021, supprimant de fait celle du mois de mai. Ce changement de date en dernière minute à des conséquences énormes sur l’élection du prochain Secrétaire Général.
Mais très subtilement une nouvelle règle édictée par le Secrétariat Général venait d’entrer en application, règle qui oblige pour pouvoir ajouter une communication lors de cette session du CE, d’en faire la demande au minimum 3 jours avant la session… Autant dire que toute contestation était ainsi rendue impossible.
De ce fait, en supprimant toute session en mai 2021, c’est forcément lors de celle de janvier 2021 que le CE devrait choisir l’unique candidat à présenter à l’Assemblée Générale d’octobre 2021. Et c’est là qu’est toute la beauté de la manœuvre, car les règles de l’OMT veulent que tout dossier de candidature doive être déposé deux mois avant la session du CE.
Ainsi, Zyrab Pololikashvi prenait de court tout le monde en laissant moins de 2 mois à d’éventuels candidats concurrents pour se positionner. La date butoir des candidatures étant ainsi brutalement avancées au 17 novembre 2020.
Être le seul candidat lors de la session du Comité Exécutif du 18 janvier 2021, lui assurait d’être « élu » un an à l’avance pour un mandat de 2022 à 2025. Plusieurs membres de l’OMT ont été outrés par cette tentative de prise de pouvoir, mais ils l’ont toujours fait « en Off », car dans les instances onusiennes la diplomatie est un monde qui se veut feutré et discret.
Cette candidature du Bahreïn, féminine de surcroit, est un gros caillou dans la chaussure de l’actuel Secrétaire Général. Mme Mai bint Mohamed AL Khalifa qui est une femme brillante qui a occupé des postes ministériels, spécialiste de la culture et du patrimoine, est une concurrente redoutable.
C’est aussi le symbole d’un changement de regard sur le rôle des femmes dans des régions du monde où le machisme est encore fortement présent.
Hier, dimanche matin, notre confrère allemand Juergen T. Steinmetz interviewait en visio-conférence Taleb Rifai, qui fut de 2009 à 2017 l‘infatigable Secrétaire Général de l’OMT.
Interrogé sur cette candidature qui venait d’être annoncée, Taleb Rifai sans un mot sur son successeur, a exprimé tout le bien qu’il pensait de Mme Mai bint Mohamed AL Khalifa. Pour lui, c’est une personnalité à même de rassembler tout le monde autour d’elle et d’agir pour le bien de tous.
« She could do the best job!”. Espérons que les 35 membres du Comité Exécutif sauront écouter son message. Réponse le 18 janvier prochain.
Frédéric de Poligny