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Tourisme et transport aérien : Le coût exorbitant des erreurs stratégiques

Un communiqué de presse paru dans Airlines Business à propos d’ Etihad Airways m’a plongé dans la perplexité. Il fait état d’une perte de 1,3 milliard de dollars au titre de l’exercice 2018 et propose un retour au profit en … 2023, c’est-à-dire dans 4 ans …

Comment une compagnie triomphante il n’y a pas si longtemps a-t-elle pu basculer dans un mode « survie » ? Oh certes elle n’est pas encore en danger, car à l’inverse de ce qui se passe dans beaucoup de pays et en France en particulier, elle est soutenue vigoureusement par l’Emirat d’Abu Dhabi, mais enfin elle n’est pas en bonne santé.

La raison en est simple : une erreur stratégique majeure.

Pour monter son bilan au niveau du voisin Emirates, la compagnie de Dubaï, Etihad Airways qui porte les intérêts de la capitale des Emirats, Abu Dhabi, a mené une politique d’achats totalement débridée pendant plusieurs années.

Elle a commencé en 2011 avec 29 % d’Air Berlin et elle a été poursuivie jusqu’en 2014 avec la prise de contrôle d’Alitalia par l’acquisition de 49 % du capital. Entre temps Etihad Airways est entrée de manière importante au capital de Air Seychelles (40 %), Virgin Australia (10 %), Jet Airways (24 %), JAT renommée Air Serbia (49 %), Darwin Airline (33 %) et seulement pourrait-on dire 3 % chez Aer Lingus.

L’ambition du management de la compagnie était d’abord de monter le volume de son bilan au niveau d’Emirates, et de créer un groupe de transport aérien le plus puissant du Golfe.
Seulement c’était mission impossible et les dirigeants auraient bien dû le savoir. Il y avait un précédent avec Swissair qui avait elle aussi acquit le contrôle de nombre de compagnies européennes, ce qui l’a menée à la faillite.

Il y a deux raisons à cela : d’abord il est impossible de faire travailler ensemble des acteurs du transport aérien dont les cultures sont différentes et qui n’obéissent pas aux mêmes critères de performance, et puis une fois rachetées les compagnies ne sont plus souciées d’équilibrer leurs comptes, sachant qu’il suffit de tendre la main auprès de la société mère pour payer les charges de fin de mois. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Etihad Airways a dû, avec une grande constance, renflouer régulièrement toutes les compagnies dans lesquelles elle avait pris des participations importantes.

Et cela ne les a pas sauvées. Les dépôts de bilan se sont enchaînés : Air Berlin, Darwin Airlines, Alitalia, jusqu’à Jet Airways, dès qu’Etihad Airways a décidé de ne plus les soutenir. Autrement dit la compagnie d’Abu Dhabi a construit sur du sable.

Mais pour cela elle y a laissé de sérieuses plumes. Depuis qu’elle publie ses comptes, 2012, Etihad Airways a perdu plus de 4 milliards de dollars. Il est d’ailleurs intéressant de suivre le calendrier : entre 2012 et 2015, elle a équilibré ses comptes avec un profit de 1 % de son chiffre d’affaires, autrement dit pas grand-chose.

Mais les affaires se sont sérieusement gâtées lorsqu’il a fallu prendre en compte les résultats des filiales et organiser son désengagement : 1,873 milliard de $ de pertes en 2016 (22 % du chiffre d’affaires), 1,520 milliard en 2017 (25 % du chiffre d’affaires) et un déficit de 1,280 milliards de dollars en 2018 (encore 22 % du chiffre d’affaires) le dernier exercice connu. Entre temps le chiffre d’affaires s’est effondré passant de 9 milliards de $ en 2015, dernier année de profits, à 5,9 milliards de $ en 2018.

Aucune compagnie n’aurait pu résister à de tels résultats sans être soutenue par son gouvernement.

L’erreur a été de vouloir devenir aussi grosse que sa voisine dubaiote en très peu de temps.

En fait tout cela n’est qu’une question d’égo. Celui-ci est particulièrement important dans cette partie du monde, plus que dans les pays anglo-saxons.

D’ailleurs on peut aussi se poser la question en voyant la stratégie développée par l’autre important acteur de la zone : Qatar Airways. Lui aussi s’est lancé dans une politique d’acquisition qui ressemble fort à celle d’Etihad Airways : 20,01 % dans IAG, 49 % de Méridiana rebaptisée Air Italy, 10 % de LATAM et jusqu’à 25 % de l’aéroport moscovite de Vnoukovo.

Akbar Al Baker a même fait une tentative de prise de participation dans American Airlines, sans succès.

Certes les investissements paraissent plus solides, IAG n’a pas besoin d’assurer ses fins de mois dans le Golfe et Air Italy n’est pas d’une taille à déstabiliser le transporteur qatari.

Il n’en demeure pas moins vrai que les résultats économiques laissent sérieusement à désirer : 662 millions d’€ de pertes en 2017/2018 et 578 millions d’€ de pertes l’année suivante.

Au fond il ne sert à rien d’être gros, il est plus important d’être beau.

Jean-Louis Baroux