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L’Exposition Barbara Chase-Riboud à la Fondation Giacometti

Programmée jusqu’au 9 janvier prochain, cette exposition est une belle occasion de découvrir un dialogue entre les œuvres de deux artistes majeurs, Alberto Giacometti (1901-1966) et Barbara Chase-Riboud. Cette dernière qui est née à Philadelphie aux USA en 1939, réside et continue à travailler à Paris.

C’est aussi pour ceux qui ne connaitrait pas les lieux, une occasion de découvrir le cadre de la Fondation Giacometti qui est installée dans un superbe bâtiment art-déco qui était l’ancien hôtel particulier de Paul Follot (1877-1941), un artiste décorateur réputé dont les meubles sont toujours très recherchés. La fondation ayant acquis ce lieu en état de délabrement, l’a entièrement rénové et lui a rendu sa splendeur initiale, et a pu y installé l’atelier d’Alberto Giacometti tel qu’il était exactement à l’heure de sa disparition, comme le souhaitait sa veuve Annette Giacometti.

Si Barbara Chase-Riboud décidait un jour de raconter sa vie, ce serait un bestseller. Cette artiste afro-américaine a une existence un peu exceptionnelle, en tant qu’artiste aux talents variés, sculptrice, poète, romancière et en tant que femme « noire, féministe, radicale ».

Elle fut la première femme afro-américaine à obtenir un diplôme de maitrise, Masters of Fine Arts, de l’Université de Yale. Elle part alors en Europe et rencontre à Paris, le photographe Marc Riboud, grand reporter de l’agence Magnum. Ils se marient et elle l’accompagne souvent lors de nombreux voyages.

C’est ainsi qu’elle découvre entre autres l’Egypte, l’URSS et qu’elle est la première américaine invitée à découvrir la Chine, le Tibet et la Mongolie. Ces voyages lui permettent de rencontrer les dissidents et les minorités souvent de couleur noire ou brune de peau et renforce son côté militant et radical, tout en lui apportant des influences artistiques d’importance.

L’art de l’Egypte antique, les techniques artisanales traditionnelles asiatiques nourriront de manière non négligeable son travail, comme on peut le voir pour « Le Lit de Cléopâtre » (1997) dont la technique d’assemblage des tessons de bronze est inspirée de celle de la Chine antique.

En 1973, elle est la première artiste afro-américaine à qui est consacrée une exposition personnelle aux USA, au Musée d’Art de l’Université de Berkeley. Et en 2019 une de ses sculptures monumentales entre enfin au MOMA, le Musée d’Art Moderne de New-York.

Mais Barbara Chase-Riboud a mené en parallèle et en alternance un travail d’écrivain. En 1979, elle publie « La Virginienne », roman qui fit scandale aux Etats Unis car il racontait les amours du Président Thomas Jefferson et de son esclave noire Sally Hemings. En 1994, sera publiée une suite, « La file du Président ».

Entre temps, en 1989, parait « Echo of Lions », paru en français sous le titre « Le Nègre de l’Amistad », qui conte l’histoire d’un paysan africain enlevé de force au Sierra Leone comme esclave et qui poursuit au début du 19ème siècle devant les tribunaux américains le gouvernement pour obtenir sa liberté. Stephen Sielberg s’étant inspiré de ce livre pour produire le long-métrage « Amistad » sans en avoir acheté les droits ni même pris contact avec Barbara Chase-Riboud, fut poursuivi devant la justice par cette dernière avec qui il finit par conclure un arrangement financier direct.

Une autre facette de l‘écriture de Barbara Chase-Riboud, ce sont ses poèmes dont l’écriture est tantôt souple et légère, tantôt sombre et provocatrice, triste et nébuleuse ou éthérée et chargée de désir et d’attirance sexuelle. Plusieurs poèmes sont ainsi écrits sur les murs de l’exposition apportant comme des bouffées d’air frais aux abords de ses œuvres monumentales.

Ce qui, étonne dans cette exposition de ces deux artistes dont les œuvres se marient à merveille, c’est qu’ils n’ont jamais été très proches car ils ne se sont rencontrés que deux fois. La première, une visite avec Marc Riboud du minuscule atelier de Giacometti, et dont Barbara Chase-Riboud en a fait un bref récit.

La deuxième, pur fruit du hasard, à Milan quand elle croise un Giacometti désargenté, à qui elle vient en aide, en le restaurant et en lui permettant de regagner le petit village de Borgonovo, où il résidait à cette époque. Cette rencontre inspira à Barbara Chase-Riboud un charmant poème qui figure dans l’exposition.

Chez Giacometti, ses statues et ses sculptures semblent filiformes et éthérées alors que les grandes statues de Barbara Chase-Riboud sont apparemment plus massives. Et pourtant elles dégagent un parfum de légèreté inattendue, peut-être parce qu’elle fait reposer la structure de ses bronzes sur de superbes jupes de tresses de soie.

Sous la grande verrière, la juxtaposition des « Femmes debout de Venise » de Giacometti, la plupart sculptures légères et au teint pâle, et de la « Femme noire debout de Venise » et de la « Black Obelisk #3 », sculptures massives et sombres de Barbara Chase-Riboud, est le point d’orgue de cette exposition. Ce groupe de statues semble n’avoir été créé que pour toutes soient réunies en une seule œuvre collective.

L’ensemble dégage une telle impression de plénitude finale qu’on se prend à rêver que rien ne change. Il est triste d’imaginer que bientôt lorsqu’l il faudra séparer ce groupe d’œuvres, rien ne sera plus comme avant pour ceux qui l’auront vu. Il y aura comme un manque.

Texte et photos : ©Frederic de Poligny

Toutes les œuvres des artistes sont protégées :
Pour celles de Giacometti: © Succession Alberto Giacometti/ADAGP
Pour celles de Barbara Chase-Riboud: © Barbara Chase-Riboud