Les cloches andalouses ressusciteront Pâques
13 avril 2020 Yves Pouchard Aucun commentaire À la une Andalousie, Companeros de Utrera, Eglise Saint-Jacques-le-Majeur, la garda, paques 4232 vues
Ouverture de la saison touristique en Espagne, la Semaine Pascale d’Andalousie est crucifiée cette année sur l’autel du coronavirus. Les dizaines de milliers de participants et curieux de toute la planète, fervents plus par tradition spectaculaire que par foi, en feront leur deuil. Mais dès le confinement achevé, il y aura une opportunité d’en ressentir malgré tout a-posteriori un peu de l’âme grâce aux « Campaneros de Utrera ».
A Utrera, 53 000 habitants au sud de Séville, se trouve la Vierge des Gitans, une des stars de la Semaine sainte andalouse. Elle ne sortira pas défiler pour la première fois depuis des lustres et restera cloîtrée en son abri de l’église Saint-Jacques-le-Majeur.
Mais dès la liberté de mouvement revenue, elle sait qu’elle pourra compter sur les défenseurs de l’art campanile pour lui rendre l’hommage dû avec un rien de retard.
La confrérie des « Campaneros de Utrera », mi acrobates, mi musiciens, s’est taillée une réputation à la hauteur de la performance de ses membres lors de Pâques dans les clochers de Saint-Jacques-le-Majeur et de Sainte-Marie-de-la-Mesa, autre église remarquable de la ville.
Tout au long du reste de l’année, ils invitent les touristes à assister au spectacle en hauteur au plus près d’eux le 3ème samedi de chaque mois et d’autres jours sur réservation de groupes.
Ils seront donc au rendez-vous pour donner un aperçu malgré tout de la Semaine pascale disparue du calendrier de cette année… aussitôt que le virus sera parti se faire sonner les cloches ailleurs.
Un cérémonial bien orchestré
Rendez-vous à l’église Saint-Jacques-le-Majeur, merveille à trois nefs égales du XVème siècle, surmontée de son clocher ajouré. Le temple
compte neuf cloches, les cinq plus imposantes réunies juste en dessous de la pointe.
Après signature d’une décharge de responsabilité, on peut se lancer dans l’ascension du long escalier en colimaçon aux marches bien usées au centre par des millions de pieds de prédécesseurs.
Une petite halte dans la montée pour un coup d’œil vertigineux sur l’ensemble des nefs depuis le haut plafond.
Puis voici le toit terrasse de l’église d’où un beau panorama dévoile toute la ville. Voilà le terrain de jeux des « campaneros de Utrera », les sonneurs qui perpétuent une tradition locale de cinq siècles de communication intégrale par les cloches unique au monde.
A l’intérieur du clocher, trône au centre « la garda », 2 300 kilos, fondue en 1803 pour honorer Santiago, patron de l’église ; côté rue, « san Pablo » et « san Antonio de Padua » ; côté toit, « san José » et « la campana de plata » dédiée à Notre-Dame-du-bon-secours. C’est elle, 858 kilos, fondue en 1802, qui sera la vedette de la démonstration à laquelle on assiste de l’intérieur avec les sonneurs pour l’élan, puis depuis la terrasse pour les voir apparaître en équilibre impensable.
Hormis « la garda » fixe, les autres cloches, accrochées à de lourds madriers, tintent en tournant sur elles-mêmes, mues par la seule force corporelle des sonneurs convertis en poulies humaines, comptables du rythme et de la puissance des battements par « voleo » et « balanza » pour délivrer le message d’un mariage, d’un décès, d’un incendie, d’un office…
Comme il n’y a pas d’événement spécial à annoncer à ce moment-là, un des « campaneros » entre dans la cloche pour bloquer son bourdon et la
rendre muette. Il faut au moins trois hommes pour commencer à ébranler les 858 kilos de fonte de la cloche, puis la mettre à tourner autour de
son axe en enroulant une corde sur chaque côté du madrier à chaque volte. Une fois les cordes bien enroulées, la cloche est maintenue à
l’envers, le temps correspondant au message à diffuser… et d’un coup, elle part en sens inverse à une vitesse folle.
Un campanero tenant bien en mains la corde monte et descend au rythme des voltes de la cloche jusqu’à arriver à passer son corps dans l’espace étroit entre le haut de la cloche et le mur du clocher.
Aussitôt à l’extérieur, de son dos au mur, il bloque la cloche, devenu muette, le temps de silence correspondant là aussi aux critères du message sonore.
Et d’un coup, saut en arrière avec la corde pour rentrer dans le clocher et relâcher la cloche qui part alors de plus belle à pleine volée… renversant !
Pour assister à ces moments rares, il est nécessaire de s’inscrire à l’avance auprès de l’Office de tourisme de la ville (tel.954873387 /
oficinaturismo@utrera.org). Emotions garanties et Pâques sauvé !
Yves Pouchard
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