[1]Les hostilités sont déclarées entre les compagnies aériennes des Etats Unis et celles du Golfe. Et les américains, selon leur bonne habitude, n’y vont pas de main morte. Ils accusent leurs homologues du Golfe Persique de concurrence déloyale à hauteur de 42 milliards de dollars ce qui n’est pas rien.
Sans compter les déclarations un peu tonitruantes de Richard Anderson le PDG de Delta Airlines qui suggérait une certaine complicité des Etats Arabes dans les attentats du 11 septembre 2001.
Certes tout cela a été démenti mais la cicatrice va rester.
Il est intéressant de voir que les américains réagissent lorsqu’ils se sentent en danger. On ne les a pas entendus jusque-là lorsque la concurrence s’exerçait pour l’essentiel sur les marchés européens.
Les compagnies alors visées se sont également rebiffées au premier rang desquelles Air France et son PDG de l’époque Jean-Cyril Spinetta qui lors d’un Cannes Airlines Forum mémorable a mis publiquement en doute la sincérité des comptes d’Emirates alors que Tim Clark le CEO de cette dernière était encore dans la salle.
Bon, tout n’est pas faux dans les assertions américaines. Il est vrai qu’Ethiad ne gagne pas d’argent pas plus que Qatar Airways. Ces deux transporteurs sont des outils de conquête de leurs gouvernements tout comme les compagnies occidentales l’ont été dans les années 1960 à 1980.
Mais enfin tout cela mérite examen. D’abord les sommes en jeu.
Cumulées sur 10 ans et 3 compagnies, elles peuvent paraître considérables, mais finalement cela ne fait que 1,4 milliard de dollars par an et par compagnie. Ce n’est certes pas négligeable, mais quelle compagnie européenne ou américaine peut se vanter de n’avoir jamais reçu un coup de pouce de la part des gouvernements ?
Que vaut par exemple la protection des accès aux grands aéroports européens : Francfort pour Lufthansa, Londres Heathrow pour British Airways ou plus près de nous Orly pour Air France ? N’y a-t-il pas là une distorsion de la concurrence ?
Et puis parlons des Etats Unis.
Que seraient devenus les grands groupes américains : United, Delta et American Airlines s’ils n’avaient pas profité des facilités du Chapter 11 par lequel tous sont passés.
Qui a payé les abandons de créances à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars ? Voilà qui mériterait une certaine attention. Cette disposition tout à fait légale constitue un avantage certain pour une restructuration qui sans cela ne pourrait pas avoir lieu.
Les Européens n’en bénéficient pas. N’est-ce pas une distorsion de la concurrence ? Elle a tout de même permis à Delta Airlines de passer d’une perte de 15 milliards de dollars à un profit supérieur à 10 milliards de dollars.
Bref dans ce petit jeu, nous assistons un peu au bal des hypocrites.
Chacun a une pierre dans son jardin, mais en criant bien fort on pourra éloigner le spectre de la concurrence frontale.
Seulement il faut se poser la seule question qui vaille : pourquoi les clients préféreraient-ils les services des compagnies du Golfe à ceux de leurs compagnies nationales ? Après tout le chauvinisme est encore bien porté surtout aux Etats Unis. La réponse est simple : c’est parce que le produit des Emirates, Etihad et Qatar Airways est bien supérieur à celui proposé par leurs concurrents occidentaux.
La faute à qui ?
Il ne tient qu’aux compagnies attaquées à se défendre en améliorant en profondeur leur qualité de service. Pendant des années elles ont fait payer à leurs clients les baisses de charges qu’elles étaient incapables de faire en interne. Elles ont préféré faire mal à leurs passagers plutôt qu’à leur personnel. Elles le paient maintenant. Ce n’est hélas que justice.
Finalement le seul décideur est le client. Celui-ci est également un électeur et il exigera bien à la fin un « open sky » mondial. Il veut avoir le choix et que le meilleur gagne.
A force d’accuser les compagnies du Golfe des pires turpitudes, les transporteurs occidentaux s’exposent à ce que l’on vienne fouiller leurs comptes, et il n’est pas certain qu’ils aient à y gagner.
Au lieu de se lamenter, ils feraient mieux de travailler sur leurs produits et leurs gammes tarifaires devenues illisibles et incompréhensibles.
La seule réponse à l’offensive des compagnies du Golfe consiste à fournir un rapport qualité/prix équivalent et les clients seront alors heureux et fiers de retrouver leurs compagnies nationales.
Jean-Louis BAROUX