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Devenir raisonnables

baroux-1 [1]Le nouveau PDG de Carrefour, Georges Plassat n’y va pas de main morte.

Devant un parterre d’élèves de grandes écoles, il a récemment analysé les difficultés auxquelles sa société avait été confrontée et qu’il fallait bien résoudre.

« Le gigantisme a changé tous les critères et déshumanisé l’entreprise » – « Les entreprises sont en difficulté lorsqu’elles empilent les organisations et ne se connaissent plus » – « Les volumes ne sont plus l’avenir de Carrefour » – « Il faut segmenter les mammouths en entreprises moyennes, toujours plus performantes ».

En lisant ces lignes dans la dernière édition du magazine « Challenges », je n’ai pas pu m’empêcher de penser au transport aérien.

La course à la grosseur se poursuit sous l’admirable mot de « consolidation ». Mais à qui fera-t-on croire que parce que l’on est plus gros, on est forcément plus performant.

Pour tout dire je suis effaré par la taille atteinte par les 5 plus grands groupes mondiaux.

Notons d’abord qu’ils ne se sont pas constitués par une croissance interne, ce qui aurait pu être vertueux et qui a été réalisé par le passé et plus récemment par Emirates. Non ils deviennent gros par rachat ou rapprochement au gré des difficultés des uns et des autres.

Dernier exemple en date : la toute prochaine fusion entre US Airways et American Airlines. Celle-ci a été approuvée le 14 février 2013 par les actionnaires et le juge des faillites, car American Airlines, faut-il le rappeler est toujours sous le régime du « Chapter 11 » autrement dit le dépôt de bilan et le redressement judiciaire à la sauce américaine.

Faut-il également rappeler que US Airways est elle-même le produit de la fusion entre l’ancienne compagnie US Airways alors en grande difficulté et America West Airlines. Une fois la fusion réalisée et elle le sera puisque les autorités américaines l’ont finalement approuvée, la nouvelle American Airlines représentera de l’ordre de 120.000 salariés, près de 1.500 appareils et un chiffre d’affaires de près de 40 milliards de dollars.

Alors il fallait sans doute faire encore plus gros que les deux autres mastodontes américains : United Airlines et Delta Air Lines.

Après la fusion avec Continental Airlines, United Airlines opère près de 1.300 avions avec plus de 85.000 salariés.
De son côté Delta Air Lines a absorbé NorthWest Airlines, ce qui lui a donné une taille de 75.000 salariés et 1.270 appareils le tout créant un chiffre d’affaires de 35 milliards de dollars.

Ces chiffres donnent le vertige. On se demande bien comment de tels monstres peuvent être gouvernés de manière efficace. Comment est-il possible de faire partager des ambitions communes à des personnels qui viennent d’horizons si différents et auxquels on avait appris que ceux qui maintenant les côtoient étaient jusqu’à présent leurs ennemis ?

On me rétorquera que ces regroupements sont nécessaires pour lutter contre une concurrence effrénée. Mais en quoi cela change-t-il la puissance de la concurrence ? Au lieu qu’elle s’exerce entre une dizaine de transporteurs, sera-t-elle moindre si seuls 3 opérateurs de puissance équivalente sont amenés à s’affronter ? On trouvera toujours un dirigeant pour tenter de tuer d’une façon ou d’une autre un concurrent gênant, même si celui-ci est d’une taille colossale.

Et puis le rêve de dominer entièrement un marché, d’éliminer toute concurrence et par voie de conséquence d’imposer ses tarifs est tout simplement impossible à réaliser ne serait-ce que parce que les législateurs s’y opposeront.

On peut facilement analyser la dérive américaine, mais fait-on différemment en Europe ? Trois gros opérateurs se partagent le marché : Air France/KLM, le Groupe Lufthansa et le Groupe IAG.

Les uns et les autres ont été fabriqués par des regroupements plus ou moins hasardeux, au fil des opportunités et des difficultés des transporteurs les plus faibles. Cela a été le cas de KLM, de Swiss et dernièrement d’Iberia.

A lui seul, le Groupe Lufthansa possède 117.000 salariés, 14 compagnies filiales et fait un chiffre d’affaires de plus de 30 milliards de dollars. Est-il pour autant épargné par les difficultés ? L’analyse est d’ailleurs identique pour les deux autres groupes.

La solution ne consisterait-elle pas à revenir à des sociétés à taille humaine, plus faciles à gérer, plus aisées à mobiliser ? Quand verra-t-on un gros groupe aérien suivre l’exemple des grands distributeurs qui commencent à revendre leurs filiales pour se recentrer sur le cœur d’exploitation ?

La compagnie globale est un leurre. Le système ne marche pas car il est trop complexe. Mais la sagesse est-elle une vertu du transport aérien ?

Jean-Louis BAROUX