Il n’est pas surprenant que la pandémie de Covid-19 ait entrainé les plus désastreux résultats dans les compagnies aériennes du Golfe. En effet ces dernières, tout au moins les trois principales : Emirates, Etihad Airways et Qatar Airways ont basé leur modèle d’exploitation sur de gigantesques hubs, puissamment aidés en cela par leurs gouvernements respectifs.
Ces derniers ont en effet largement financé de formidables infrastructures aéroportuaires à tel point que faire une escale dans l’une d’entre elles était plutôt considéré comme un avantage que l’inverse.
Seulement l’exploitation de ces transporteurs repose sur la liberté de circulation. Elle est d’ailleurs largement accordée par les Etats du Golfe vis-à-vis de tous les pays, la réciproque n’étant pas toujours vraie.
Alors, lorsque les gouvernements ont, par un imparable effet de dominos, fermé leurs frontières, le trafic passager de ces compagnies s’est effondré, d’autant plus qu’il n’y a pas d’opérations domestiques dans les Emirats et au Qatar.
Certes elles ont toutes réagi rapidement en transformant leurs capacités passagers en cargo, mais le marché fret quelque soit son développement récent, ne peut pas compenser les recettes passagers.
Alors il a bien fallu se résoudre à trancher dans le vif, c’est-à-dire mettre au sol une grande partie des flottes et d’abord les quadriréacteurs, et licencier massivement les salariés, en sachant que la protection sociale est tout de même moins performante que dans les pays européens, par exemple.
Mais même avec ces réactions rapides, même avec la remise en service de toutes les destinations possibles mais avec des fréquences très inférieures aux opérations traditionnelles, les comptes sont violemment tombés dans le rouge.
Rendons tout de même hommage à Emirates qui n’a pas hésité à les afficher alors qu’ils sont tout simplement désastreux. 3,8 milliards de dollars de pertes au premier semestre de l’exercice 2020/2021. C’est-à-dire 21 millions de dollars de perte par jour, presque un million par heure.
C’est la première fois que le transporteur de Dubaï perd de l’argent. Certes il a bénéficié d’une aide gouvernementale de 2 milliards de dollars et dispose d’une réserve de trésorerie de 5,6 milliards de
dollars, mais la reprise de l’activité passagers est vitale.
En fait cela prouve que dans le contexte sanitaire actuel, plus les compagnies sont grosses et plus elles sont fragiles et ce quelque que soient les qualités de leur gestion.
Etihad Airways n’est pas dans une meilleure position. La compagnie avait entamé un long processus de redressement avec un changement radical de stratégie suite à l’échec des prises de participation dans les transporteurs en difficulté, mais elle doit bien maintenant se résoudre à redevenir un transporteur de niche.
Son CEO Tony Douglas l’a annoncé dernièrement. Sa taille sera réduite, même si le concept de produit reste inchangé quant à sa recherche de qualité.
Elle doit supporter le poids du passé, les derniers résultats publiés pour 2019 font état d’une perte de 870 millions de dollars alors que l’année dernière a été très favorable eu transport aérien.
Le transporteur d’Abu Dhabi n’a pas fini de payer son rêve de grandeur passé.
On est par contre dans le flou pour analyser Qatar Airways. La compagnie a publié ses comptes pour la première fois en 2018 et ils étaient déficitaires de 252 millions de dollars. Depuis on ne sait pas très bien comment elle se porte financièrement.
Une certitude, elle sera soutenue par le
gouvernement Qatari autant qu’il le faudra. Elle est déjà passée au travers d’une crise diplomatique majeure puisque l’espace aérien des pays voisins a été fermé. Pour autant elle continue à accumuler les récompenses liées à la qualité de son produit.
Par contre sa stratégie de « hub » basée sur les nouvelles installations au sol de Doha exceptionnelles, va connaître les mêmes difficultés qu’Emirates.
Combien faudra-t-il de temps à ces trois groupes pour retrouver un équilibre économique pérenne ? Voilà une question à laquelle il serait bien hasardeux de répondre. Ils vont ressortir très affaiblis de cette période et à la différence de nombre de concurrents, ils ne disposent pas de marché domestique puissant.
Et puis les nouveaux appareils long-courriers de taille réduite : A 321 Neo ou dernière génération du Boeing 787, conduiront peut-être les clients à rechercher des liaisons directes, ce qui ne ferait pas leur affaire.
Dernière interrogation : il semble que le groupe Air France/KLM aurait des visées sur le Golfe et s’apprêterait à renforcer ses opérations à partir de Dubaï ? Voilà qui demande confirmation.
Jean-Louis Baroux