Pourquoi les agences de voyages devraient-elles inclure tout ce qui a trait à la mobilité et aux loisirs au sens large du terme ? Le Tourisme de masse, le transport aérien au long cours ont-il encore un avenir ? La Quotidienne a interrogé certainement l’un des plus plus grands acteurs, en taille, de notre profession. Ancien patron d’Airtour qui était un des TO leader à l’époque puis de Jet Tours, il dirige depuis 20 ans une entreprise qui assure la promotion de destinations. Il connait très bien le monde du tourisme et il était intéressant d’avoir son opinion sur les évolutions de la profession, sur les pays représentés, sur le comportement des clients après Covid-19 !
La Quotidienne : Interface Tourism n’est pas toujours bien connue des professionnels du tourisme en France. Pourriez-vous nous présenter votre entreprise ?
Gaël de la Porte du Theil : Le rôle d’Interface Tourism est d’être, comme son nom l’indique, une sorte de médiateur entre des produits ou destinations touristiques et les consommateurs susceptibles de s’y intéresser.
Nous devons donc collaborer avec les intermédiaires pouvant les programmer et/ou les vendre, et réaliser la communication appropriée, au travers des médias, pour les promouvoir sur notre marché.
Ainsi notre rôle n’est pas de nous faire connaitre mais de faire connaitre nos clients !!! Toutefois, après 20 années d’existence sur le marché, nous bénéficions d’une certaine notoriété.
LQ : Interface vient de fêter ses 20 ans ! Quelles ont été les étapes les plus importantes ?
GPT : Il est évident qu’en 20 années notre métier a considérablement évolué. Notre concept de départ était celui d’une mutualisation professionnalisée des Offices de Tourisme. Plusieurs phénomènes ont modifié, en profondeur, nos pratiques professionnelles.
En particuliers l’arrivée d’Internet et la démocratisation du transport aérien. Ainsi, le nombre de Touristes internationaux a plus que doublé en 20 ans (664M en 2000, 1 500M en 2019) et maintenant la quasi-totalité des pays du monde espèrent des Touristes y compris la Corée du Nord !!! Ceci explique qu’au plan économique, la part du Tourisme dans le PIB mondial fut, en 2019, supérieure à 7 %. Cette manne potentielle a généré une concurrence de plus en plus importante entre les destinations qui a entraîné une professionnalisation de la promotion.
La digitalisation de l’information a, pour sa part, modifié considérablement, les modes et techniques de communication et de promotion. Le développement de la mondialisation a obligé à être en mesure de faire des propositions multi-pays et donc de se développer à l’international, soit en direct, soit au travers d’un réseau volontaire. Enfin, l’industrie touristique se professionnalisant, à nécessiter de répondre à des compétences spécifiques d’où la création de services spécialisés sur le MICE, l’Insight, le Digital et l’Art de Vivre !
LQ : Interface s’est associée à Indigo, une autre agence de représentation touristique concurrente. On dit souvent que 1 et 1 ne font pas deux… comment s’est déroulée cette fusion ?
GPT : A l’instar des agences de publicité il y a de nombreuses années, qui regroupaient des agences ayant des compétences et expériences complémentaires, nous avons intégré Indigo et ses filiales dans une holding.
Evidemment, nous profitons mutuellement de l’effet de taille au plan des coûts de gestion tout en conservant une indépendance concertée au plan du business. Après trois années l’expérience est tout à fait concluante et nous sommes prêts à récidiver !!!!
LQ : Vous êtes président d’Interface et vous avez un DG en la personne de Blaise Borezée (anciennement Indigo). Comment vous répartissez vous les tâches ?
GPT : Blaise m’a rejoint il y a 15 ans. Autant dire que nous commençons à être un vieux couple. Depuis maintenant plusieurs années, Blaise est devenu DG. Nous nous sommes répartis les fonctions très simplement. Je me charge plus directement du développement international et des problèmes structurels des entreprises du groupe, de son côté Blaise assure un vrai rôle de Directeur Général tant avec le personnel qu’avec les clients. Evidemment, il y a une constante concertation entre nous….
LQ : Interface est donc présent en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas. Qu’en est-il des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni qui sont les plus grands pourvoyeurs de touristes dans le monde ?
GPT : Présent dans 4 pays au travers de nos propres sociétés, nous intervenons déjà avec des partenaires dans plusieurs autres pays Européens pour le Québec, La Nouvelle Calédonie….lorsque nous n’avons pas nos propres filiales.
Par ailleurs, nous sommes membre, et administrateur d’un réseau volontaire « Travel Consul » présent dans une vingtaine de pays dans le monde.
A terme, nous devrons par évidence, être présents, en propre, dans les deux pays Européens les plus importants en tant que pays émetteurs de Touristes, l’Allemagne et la Grande Bretagne…..c’est en cours !!!!
LQ : Est-il facile de gérer une quarantaine de destinations en même temps ?
GPT : D’une part, les destinations peuvent avoir des demandes spécifiques et il est donc important d’avoir des réponses adaptées que seuls des spécialistes peuvent fournir, ces derniers ne pouvant exister que si nous disposons d’un volume de clientèle suffisant.
D’autre part, pour les destinations ou autres clients demandant une gamme complète de services, il est évident qu’ils doivent disposer d’un référent qui coordonne les différents intervenants sur le dossier.
Cette organisation fondée sur des compétences différenciées ne peut fonctionner qu’à partir d’un certain volume de clients. C’est notre cas depuis 7/8 ans.
LQ : Vous représentez des destinations touristiques dont certaines sont des pays où les droits de l’homme sont absents ou bafoués. Cela ne vous dérange pas ?
GTP : Sur les 193 pays que comporte notre planète, la Démocratie, y compris imparfaite, n’existe que dans 86 pays !!!!
Les pays considérés comme totalitaires seraient au moins une cinquantaine. On constate depuis la chute du communisme que la situation générale a plutôt tendance à s’améliorer.
Trois raisons sont, en général, retenues pour expliquer cette évolution positive : la mondialisation de l’économie, la progression exponentielle de la communication via internet et….le développement du Tourisme.
Il est vrai que l’arrivée dans un pays de personnes porteuses de valeurs humanistes est un vecteur intéressant de « contamination démocratique ». Aussi, il me semble important de ne boycotter aucun pays sous la seule réserve de la sécurité des touristes.
LQ : il existe désormais des organisations comme Evaneos qui proposent de mettre en contact le client et le réceptif local. Croyez-vous que cette demande va s’accroître dans le futur et pourquoi?
GPT : Ce n’est pas un phénomène très nouveau. On a vu depuis des années des réceptifs étrangers qui venaient se promouvoir en direct, à l’occasion de salon. En fait ils cherchaient à « bypasser » les TOs en s’adressant directement aux Agv. C’était d’autant plus facile que la France, contrairement à la plupart des pays occidentaux, n’a qu’un seul statut et qu’il n’y a pas de licence différenciée entre les distributeurs et les producteurs.
La seconde étape actuelle est la mise en place de plateformes, tel Evaneos, qui mettent directement en phase des réceptifs étrangers et des consommateurs avec la possibilité de réaliser de vrais voyages sur mesure…tout en disposant des garanties d’un opérateur français. C’est clair que cela répond à l’évolution de la demande des nouvelles générations et des voyageurs « fréquents ». Une fois encore, les prestataires n’auront un avenir que s’ils apportent aux consommateurs une réelle valeur ajoutée
LQ : Incitez-vous les destinations à accueillir des agents de voyages, des voyagistes ou la presse pro ou grand public pour des voyages d’étude ?
GPT : Evidemment, il est essentiel de faire visiter les pays de nos clients à un maximum de professionnels des médias, de l’influence ou du monde du voyage. En 2019, nous avons fait partir dans nos destinations, précisément 1110 personnes répartis en 829 pax pour le trade et le MICE et 281 pax pour les médias et les influenceurs
LQ : Pour certaines destinations comme Singapour, le MICE (Meeting – Incentive – Conference – Events) est important. Comment développez-vous cette compétence ?
GPT : Le MICE est devenu un segment important pour nombre de nos clients, entre autre Singapour, et nous disposons depuis plusieurs années d’un service spécialisé pour développer cette activité.
LQ : vous avez indiqué vouloir développer des représentations dans l’hôtellerie, la gastronomie, des parcs de loisirs, du bien-être. Quels résultats à ce jour ?
GPT : C’est exact. Nous commençons à représenter des chaines hôtelières telles que Cinnamon au Sri Lanka ou la chaîne Mulia en Indonésie. En 2019, nous faisions la promotion de compagnies aériennes telles que Latam ou Wow Air. Actuellement, dans le cadre de nos diversifications, nous faisons la promotion de « La Seine à Vélo ». En fait, maintenant, nous considérons être en mesure de promouvoir tous les produits en rapport avec l’Art de Vivre.
LQ : Vous avez conclu un accord pour promouvoir l’exposition universelle de Dubaï. Quel est cet accord ?
GPT : L’Exposition Universelle de Dubaï devait se tenir à partir de l’automne 2020. Compte tenu de la crise sanitaire actuelle, elle a été reprogrammée en 2021. Notre rôle est de faire connaitre et programmer cet important événement par les professionnels du Tourisme et de l’événementiel.
LQ : Quel a été le chiffre d’affaires d’Interface Tourism en 2019 ? Quel sera celui de 2020 ? Quel sera l’impact du Covid19 dans votre activité ?
GPT : En 2019, le groupe Interface Tourism a réalisé un peu plus de 9 millions de Chiffre d’Affaires. Nos budgets 2020 envisageaient de franchir le cap des 10 millions. Le premier trimestre était en ligne avec cet objectif.
Depuis la crise du Covid-19, il est impossible de se projeter sur des résultats annuels 2020. Nous naviguons à vue avec pour objectif de relancer dès que cela sera possible des plans de reconquête de clientèles pour les destinations et nos autres clients !!!
LQ : Combien de personnes sont employées chez Interface ? Quelles décisions ont été prises pour passer la crise ?
GPT : Interface Tourism France a un effectif de 35 personnes. En tenant compte des filiales étrangères et du groupe Indigo, nous employons, au total, environ 80 personnes. Bien évidemment nous avons eu recours au chômage partiel pour tenir compte de la mise entre parenthèse de certains de nos contrats. Nous avons également eu recours au PGE afin de préserver notre trésorerie. En revanche, dans la situation actuelle, il n’est pas envisagé de procéder à des licenciements. Dans chacun des pays où nous disposons d’une filiale nous avons recours aux dispositifs locaux.
LQ : Comment voyez-vous l’avenir du tourisme ? Certains estiment que le comportement des futurs touristes va changer. Quelle est votre vision ?
GPT : La consommation touristique changeait déjà depuis plusieurs années. De plus en plus, nos voyageurs ne se contentaient plus d’être des « voyeurs » mais souhaitaient accéder à l’expérience pour vraiment s’imprégner de la vie et de la culture locale. Simultanément, ils prenaient conscience de la nécessité de respecter les lieux qu’ils visitaient et les cultures qu’ils côtoyaient.
En fait, ils devenaient des écologues sans le fatras idéologique des supposés écolos-politicards ou des écolos-marketeurs !!!
Voyager, découvrir notre planète et ses cultures différentes est devenue un besoin. Par ailleurs, l’industrie touristique est un moyen de développement essentiel pour une grande partie des pays du monde. Il est donc impératif que les professionnels du tourisme, au sens large, contribuent à la mise en œuvre d’un Tourisme responsable.
LQ : Vous qui avez été le patron de grands TO comme Airtour et Jet Tours ; portez-vous un regard sévère sur ce qui est advenu de ces entreprises comme Nouvelles Frontières, Marmara … qui devaient être un tremplin pour des groupes comme TC ou TUI ?
GPT : Il en va des entreprises du Tourisme comme de celles de tous les secteurs. Regardons Renault ? Depuis une vingtaine d’années les comportements des consommateurs évoluent, les modalités de décisions changent….si l’on en tient pas ou peu compte on régresse.
La concentration d’entreprises voire l’Internationalisation n’est pas une finalité en soi, elle doit correspondre tant à l’économie qu’aux attentes des clients. Dans ce domaine, malheureusement de nombreuses entreprises de notre secteur en ont subi les conséquences et on a assisté à de vraies catastrophes comme celle de Thomas Cook !!!! A notre petite échelle, notre internationalisation est mise en œuvre avec un principe sacro-saint « La Glocalisation ».
Il s’agit d’appliquer le principe de subsidiarité. Tout ce qui peut être réalisé et conçu au niveau du marché est réalisé Localement. Seul sont réalisées au niveau Global les activités générant des synergies ou apportant des solutions inenvisageables au niveau d’une seule entité.
LQ : Le nombre d’agences de voyages en France n’a que peu bougé depuis des années malgré l’arrivée du e-commerce. Pensez-vous que cette tendance va évoluer? Est-ce que la crise liée au Coronavirus peut-être fatale à un nombre important d’agences de voyages ?
GPT : Tous les commerces et tous les prestataires n’existent finalement que si les consommateurs considèrent que le service ou le produit vendu à une valeur ajoutée liée à l’intermédiation qu’ils offrent. Evidemment l’e-commerce et son développement offre une alternative de plus en plus crédible au fur et à mesure que les services offerts se sophistiquent et apportent aux clients potentiels des infos et recommandations susceptibles de répondre à toutes les questions préalables à la réservation.
Aujourd’hui l’agence traditionnelle bénéficie encore d’une valeur importante le conseil humanisé….mais encore faut-il qu’il soit très qualitatif et malheureusement ce n’est pas toujours le cas. Une autre voie devrait également permettre à ces professionnels de se réinventer….
Le mot Voyage est en fait un mot-valise qui devrait inclure tout ce qui a trait à la mobilité et aux loisirs… Ceci devrait permettre à beaucoup de se spécialiser sur des produits particuliers (sports, arts de vivre, culture, santé, spectacles, shopping……) et d’offrir des services pouvant être exclusifs ou très élaborés.
En conclusion, comme pour toutes les professions, l’avenir des agents de voyages sera conditionné par une constante remise en question visant à redéfinir les attentes des clients potentiels au regard des prestations qu’ils seront en mesure de leur proposer et de la valeur ajoutée qu’ils pourront offrir !!!! Il y a du travail ….d’autant que de nombreux paradigmes vont nécessairement changer !!!!
LQ : Avez-vous été surpris par l’engagement des pros du tourisme pendant la période Covid-19 ?
GPT : Je voudrais donner un coup de chapeau à la qualité des relations que nous avons avec tous les professionnels du Tourisme et en particuliers pendant cette période où nous souffrons tous de cette affreuse épidémie.
Nous avons, par exemple, lancé de nombreux webinars sur les destinations dont nous avons la charge. Combien fut notre surprise d’enregistrer des affluences et des implications personnelles incroyables qui démontrent des engagements dans leurs métiers de nos partenaires agents de voyages et Tour-Opérateurs, tout simplement admirables.
Propos recueillis par Serge Fabre