Les commerciaux du tourisme qui visitent régulièrement les agences de voyages sont rarement mis en avant. C’est dommage car ils connaissent mieux que personne, les problèmes rencontrés par les voyagistes et les conseillers en voyages. Nous avons interrogé Heidia Chebil, une commerciale indépendante bien connue des agences dans la région Rhône-Alpes.
La Quotidienne : Quel est votre parcours professionnel et comment avez-vous évolué vers la représentation commerciale ?
Heidia Chebil : Depuis toujours je suis passionnée par le voyage. Ma passion a orienté mon choix de formation avec l’obtention de mon diplôme UET Nouvelles Frontières. J’ai fait mes premiers pas dans le tourisme en tant commerciale Rhône Alpes du TO Royal Tours. Mon parcours professionnel a été jalonné par des rencontres, de belles rencontres, pour représenter ensuite Marmara-Etapes Nouvelles et durant 15 ans la représentation du TO Asia.
Une longévité dans le métier avec toujours la même passion pour faire le lien entre l’offre d’un TO et la distribution caractérisée par une concurrence accrue. Un fait marquant fin 2016 (la quarantaine est peut-être passée par là) où j’ai senti un besoin fort et viscéral d’un nouveau défi professionnel sous un format entrepreneurial. L’idée centrale est de faire mon métier autrement en proposant une alternative aux TO pour déployer leur force de vente autrement que sous le format de salariés intégrés. En m’appuyant à la fois sur ma maturité et expérience ajoutées à un marché du tourisme attentif à de nouvelles solutions que je juge agiles, mon projet a pris finalement forme avec la signature de 4 mandats lors de mon lancement.
LQ : Vous êtes restée longtemps chez Asia. Cela a dû être une expérience enrichissante. Quels sont les trois points forts à retenir de ce long passage chez ce voyagiste ?
HC : « Longtemps » je qualifierai autrement mon passage chez Asia : court, riche et « confortable » avec des chiffres en constante progression en Rhône Alpes. Vous comprenez bien que mon passage chez Asia m’a motivée pour compléter mon parcours professionnel déjà entamé auprès de « TO mass market » et m’orienter sur le marché des spécialistes avec une personnalisation (vs. Industrialisation) des voyages.
LQ : Quels seraient les trois points marquants que vous retenez de votre passage chez Asia ?
HC : Les valeurs partagées par le staff pour rendre Asia un acteur important du marché. Le respect de l’humain avec la valorisation du travail de chacun allant de l’employée de l’accueil jusqu’au sommet en passant bien évidemment par l’équipe terrain. Le troisième point est l’envie d’aller plus loin pour améliorer l’offre afin de protéger ses avantages concurrentiels. Ce dernier point était important démontrant les ambitions d’Asia sur le marché.
LQ : Comment vit-on son métier durant la période du Covid-19 ? Est-ce que la communication commerciale a été interrompue ?
HC : Disons les mots, il s’agit d’une crise sanitaire jamais connue dans un monde moderne donnant un arrêt total à l’économie du tourisme. J’ai choisi de l’affronter et éviter de la subir avec une communication claire et continue avec mes mandants. La clef est de revenir aux fondamentaux (back to basics) : garder son calme et définir les priorités. Cela passe par aider mes agences dans leur démarche de rapatrier nos clients avec la fermeture des frontières avec des réussites et des échecs mais je tiens à remarquer la solidarité de notre profession durant cette période. Effectuer les reports (ordonnance). Et proposer des offres pour des éventuelles demandes à venir. Au contraire, je reste joignable et disponible pour mes agences.
Je ne vous cache pas que mon modèle économique est confronté à un test systémique. En effet, je propose au marché un modèle agile de leur force de vente en contrepartie d’une prestation facturée. « That’s the deal » : nous pouvons supposer comme vous le proposez l’interruption de la relation durant la période que nous traversons sauf que j’ai construit avec certains de mes mandants un compromis juste et acceptable entre nos deux entités pour gérer ensemble l’imprévu et préparer la reprise.
LQ : On peut supposer que les Tour opérateurs que vous représentez, veulent faire des économies pendant cette crise. Comment gérer les relations financières, commerciales avec eux ?
HC : Cette crise est une réelle épreuve pour nous entrepreneurs. J’ai du initier des échanges constructifs avec mes mandants pour nous adapter à la situation et réécrire une feuille de route intermédiaire jusqu’à un retour à la normale. Bien évidemment, ma proposition n’a pas été accepté par tous mes mandants mais elle a le mérite de déclencher un compromis entre chefs d’entreprises à la recherche de solutions convergentes : prestations ajustées, de nouvelles missions ponctuelles, mailing et animation commerciale auprès des agences. En conclusion, cette crise a eu des conséquences financières sur ma structure et elles sont limitées pour le moment.
D’un naturel positif, j’ai l’intime conviction de la pérennité de mon modèle proposant une agilité et souplesse améliorées aux TO. A ce propos, ma proposition sur le marché du tourisme commence à susciter bien des réflexions pour le post Covid sur le plan organisationnel et réduction ou optimisation des coûts.
LQ : Comment représenter plusieurs acteurs du tourisme en même temps ? Un produit différent ? Un mode de commercialisation ?
HC : La clef est une organisation sans faille ajoutée à la connaissance du terrain Rhônalpin et ses acteurs. Je dois veiller à la complémentarité des TO représentés et leurs stratégies déclinées ainsi qu’une offre diversifiée au sein de ma structure.
A ce jour, je suis présente sur l’Asie avec Climats du Monde, les croisières avec UOC, une centrale hôtelière en digital avec Albatravel et Irlande-Ecosse-Martinique-Guadeloupe avec Gaeland Ashling.
Ponctuellement, j’ai représenté Ollandini pour la Corse-Sardaigne-Sicile-Grèce.
Force est de constater la diversification et la complémentarité de mes cartes en veillant à l’absence de conflits d’intérêts entre mes offres. Je tiens aussi à construire une offre élargie tant sur le produit ou la destination ou une centrale hôtelière (comme Albatravel).
LQ : On constate une tendance forte chez de nombreux voyagistes qui sous-traitent leurs appels B2B et B2C. Une même tendance vise la représentation commerciale. Est-ce bien réel ? Connaissez-vous d’autres exemples de représentation ?
HC : Je suis complètement d’accord avec vous sur cette tendance qui trouve ses objectifs dans la recherche d’une optimisation des coûts. La lecture foisonne à ce sujet pour annoncer par exemple la fin du salariat* substitué par des indépendants autour d’un objectif commun ponctuel. J’ai lu un article en début d’année annonçant qu’un réseau bancaire français réfléchit à une structure d’indépendants pour remplacer ses conseillers salariés.
Il est clair que pour des raisons économiques et de coûts, les entreprises ont intérêt à faire appel à des acteurs présents pour une tâche bien précise que de créer une structure intégrée pour sa réalisation.
Je crois à cette tendance pour la prolonger jusqu’à la représentation commerciale. C’est l’idée même de ma structure et les mandants que j’ai représentés confirment bien cette tendance et sa réalité.
Je garde une certaine lucidité pour affirmer que cette externalisation n’est pas duplicable tout azimut pour l’instant car certaines positions sont bien établies et ne peuvent être disruptées.
LQ : Hormis vos mandants actuels, quels types d’entreprises du tourisme, souhaiteriez-vous représenter ?
HC : La période actuelle est propice à la réflexion afin de préparer la sortie de ce contexte si particulier et la reprise de notre activité.
Mon quotidien depuis la création de mon entreprise est de gérer l’incertitude et rien n’est figé dans le temps. La preuve le changement de mes mandants que je constate et que je dois aussi anticiper. Oui je vise, en étudiant les opportunités du marché, des entreprises spécialistes des îles, les Etats-Unis, l’Europe de l’Est avec le même ADN : une offre élargie, complète et diversifiée.
Mon action est précédée par une réflexion échangée avec mes mandants en privilégiant la qualité et évitant une certaine course aux cartes.
LQ : Auparavant, les parisiens avaient le regard tourné vers Toulouse grâce à FRAM. Aujourd’hui, la région Rhône – Alpes est mise en lumière avec notamment la spectaculaire réussite de Marietton. Y-a-t-il d’autres entreprises que vous mettriez également en avant ?
HC : Je suis fière de ma région qui est la deuxième de France caractérisée par son dynamisme. Vous évoquez Marietton et je souhaite tout d’abord présenter mes sincères condoléances aux frères Abitbol à la suite du décès de leur père. Je suis fascinée par la réussite de leur entreprise et en admiration devant leur travail. J’aimerai noter la qualité des hommes et femmes de terrain du Groupe. J’ai toujours eu plaisir à franchir les portes de leurs agences à la rencontre de leurs agents de voyages. Je suis aussi curieuse de connaître l’évolution du réseau dans le temps avec l’évolution de la consommation.
Sur la région, j’ai remarqué l’éclosion de l’idée de Pierre Hawawini et Philippe le Fur avec leur structure KeepCall pour désengorger la résa des TO. Une idée qui m’a à vrai dire inspirée (toute proportion gardée) pour la création de ma structure.
En conclusion, ma région est à l’image de son économie dynamique et en constante évolution pour être regardée dans toute la France.
LQ : La vente en ligne progresse et pourtant le nombre d’agences de voyages ne semble pas diminuer. Selon vous, quelles en sont les raisons ?
HC : Notre secteur est en mutation et il est en train de s’ajuster. A mon avis, le nombre des agences est amené à décroître avec une montée des ventes en ligne. Ceux qui prônent la disparition de l’agence de voyage classique auront tort. Je crois au rôle d’un spécialiste pour accompagner le client final dans son choix du produit de voyages.
De même, ce rôle est très limité pour certains produits classiques sans valeur ajoutée qui vont être déclassés vers le canal digitalisé. Le futur de notre profession sera un mix d’agence de voyages physiques et d’autres digitalisées. Les premières ont pour rôle de proposer des produits à la carte ou une prestation coûteuse quant aux deuxièmes, elles ont pour rôle de répondre à des demandes standards et industrialisées. Pour appuyer mes propos, nous pouvons nous inspirer par l’évolution de l’organisation de secteurs tels que l’agroalimentaire ou les bancassurances etc.
LQ : Plusieurs groupes de réflexion ont été créés sur les réseaux sociaux sur l’avenir du tourisme après la pandémie. Croyez-vous à de vrais changements ? Et éventuellement quels sont ceux qui pourraient subsister à long termes ?
HC : Durant la crise, j’ai pu constater et participer à des initiatives de réflexion sur l’avenir de notre secteur. Ces initiatives sont à saluer et démontrent notre envie de protéger nos organisations. Des changements sont déjà constatés avec la triste chute de Thomas Cook et d’autres sont à prévoir accentués par la crise que nous traversons.
Il ne s’agit pas d’un fait nouveau mais une histoire naturelle de toute économie. A nous acteurs de l’anticiper par nos réflexions en commun sur l’avenir de notre secteur. Toute initiative dans ce sens me paraît profitable pour tous et la création d’une « task force » nous permettra de définir plus clairement les enjeux et les défis de demain. Elle aura par exemple pour objectif de réfléchir notre offre innovée et introduire une offre plus verte : rationnaliser notre production de masse avec un respect de la nature, intégrer une empreinte carbone dans les brochures.
Le client final est de plus en plus sensible à une telle offre et saura en payer le juste prix. Ces initiatives traduisent le dynamisme de ses acteurs à la recherche un héritage à perpétuer : la passion des voyages et une ouverture vers le monde.
Propos recueillis par Serge Fabre