[1]Ce titre vient d’une délicate expression de Stendhal.
Traduit en chanson cela pourrait donner « Voyage, voyage… voyage, voyage éternellement »… C’est toujours avec le même bonheur que l’on écoute la chanson mythique de Desireless, cette musique qui n’a pas pris une ride… on frissonne dès les premières notes, et une brusque envie d’évasion nous saisit…
Poésie ? La culture du retour vue par Stendhal ne doit toutefois pas exclure cette fébrile préparation au voyage, cette attente qui fait vagabonder l’esprit et donne libre cours à l’imagination…
En image ? Cela ne vous aura pas échappé, toutes les destinations sont artistiquement mises en valeur dans de somptueux catalogues papier glacé, ou magiquement présentées via le web et les reportages télé.
Curieusement, on n’aperçoit jamais la moindre goutte de pluie sur l’objectif, pas le plus petit nuage à l’horizon des cieux d’azur, des plages toujours désertes, des flots toujours bleus, les sites célèbres peu fréquentés, et une avalanche de sourires tous azimuts qui semblent n’attendre que nous…
Il serait parfaitement inopportun d’assombrir les rêves d’un candidat au voyage pour le Spitzberg, l’Ecosse ou le Cap Nord en lui susurrant les réelles conditions climatiques de ces régions, pourtant régulièrement plongées dans un brouillard Hitchcockien…
Il serait bien cruel de faire s’ écrouler son enthousiasme en évoquant une navigation chahutée dans le golf de Gascogne ou sur une mer Egée fréquemment animée de violents et rugueux coups de vent…
Bref, il est quand même plus judicieux de laisser toutes ces sombres perspectives à l’intérieur du tiroir « Étonnement du retour » en accord avec la prudente sagesse de Stendhal…
Si j’évoque chanteurs, poètes, artistes et catalogues un peu plus haut, c’est avec l’idée de rendre hommage à un ami, personnage haut en couleur tout droit issu de l’Ecole des Beaux Arts, qui devint dès ses débuts l’heureux complice de Joseph Terrien, l’orfèvre du voyage.
Cette complicité qui lui permit de basculer vers une carrière totalement et définitivement autocarartistique…
Ce bougre de Jacques, artiste infiniment attachant, a débuté comme graphiste en 69, et tous les transporteurs passionnés par le tourisme se souviennent fort bien du sentiment d’envie et de jalousie qui les ont animés lors de la sortie des illustrations colorées des catalogues Terrien de l’époque.
Dans les premiers exemplaires, on pouvait y découvrir des flopées de personnages stylisés en costumes locaux, des sites et des paysages coloriés avec soin et caricaturés comme seuls les artistes savent organiser une mise en valeur.
Tout était si harmonieusement présenté qu’il était bien difficile de résister a l’attrait du voyage.
A peine une dizaine d’années plus tard, ces images avaient laissé place à de fins dessins à la plume, tout aussi évocateurs et aguicheurs, propres à parfaire l’évolution de ces catalogues mythiques. Au fil des pages, défilaient des paysages d’une rare finesse, assortis de personnages pastel comme saisis sur le vif par l’artiste… un véritable régal pour l’œil du lecteur.
Il faut ajouter que les textes rivalisaient de charme avec les images, et que le rédacteur ne s’éparpillait pas en mots inutiles, en phrases mal construites, en benêtteries maladroites : que du français, que du pur, du bref, du précis et du beau !
Depuis, personne n’a su trouver autant de talent et d’ingéniosité pour oser reprendre la succession de Jacques Forget dans ce registre des dessins. Nul n’a su croquer avec autant de soin les palais vénitiens et leurs gondoles… les visages de femmes berbères… ou ce chalet tyrolien dont le balcon déborde insolemment de géraniums.
En ce qui concerne la suite de l’aventure, à caractère plus industriel, notre homme prit son bâton de pèlerin pour entreprendre son propre chemin de Saint Jacques.
Son objectif était d’amener les autocarovoyagistes installés ou en passe de l’être à diffuser de belles images, d’élégants catalogues et de jolies plaquettes pour la mise en valeur des produits, des matériels et avant toute chose, de leurs boîtes ! Un vrai programme, qu’il conviendrait de revisiter dans d’autres domaines…
En dehors des coûts… (la peau du dos, il faut le dire)… Quels pas de géant, quels coups de jeune, quels coups de grisou sous les fondations de cette profession… il a botté des fesses avec des bottes de sept lieux, en inoculant une vrai rage de compétition picturale interentreprises… balaise !!!
Allez Jacques, redis nous encore une fois qu’un autocar ce n’est quand même qu’une boîte à chaussures avec des roulettes, çà nous fait rire jaune !
Même si tu te faisais chahuter par tes copains pour tes formules lapidaires, ils sont à peu près tous passés par tes planches à dessins pour habiller leurs grosses boîtes cubiques. Ils ont à peu près tous défilé chez toi pour trouver une personnalité et doter leurs autocars d’une apparence sinon artistique, en tout cas fort gracieuse.
Faut dire que l’on revenait de loin dans la mochitude… faut rappeler que les constructeurs barbouilleurs n’avaient pas fait dans la dentelle pour aligner des traits de couleurs bien droits, des lettres majuscules hideuses, des palmiers pas tagués (dommage) et autres laideurs inégalables…
Tout restait donc à inventer pour atteindre une parfaite harmonie, pour habiller magiquement des surfaces aux lignes brisées qui n’attendaient que du style et de l’élégance…
Ainsi, le voyageur/touriste a enfin pu échapper aux couleurs agressives et criardes des revêtements de sièges, aux rideaux bonne femme façon « Hermès » choisis par Mâdâme, épouse du patron qui, bien que faisant preuve de bonne volonté, n’atterrissait que très rarement dans l’harmonie…
Alors à la sortie… c’était aux conducteurs, accompagnateurs, et autres voyageurs délicats, que revenait le plaisir d’ingurgiter cette cacophonie de laideurs à longueur de journées !
Avec la sagesse et la patience du Conseil sont apparues petit a petit des mariages heureux de couleurs douces, assorties, confortables a l’œil, reposantes pour le temps d’un voyage, épargnant fatigue et distraction du regard…
Un style était né et petit à petit s’affirmait.
Souhaitons que tous les modes de transports puissent aussi un jour voir s’opérer leurs petites révolutions et suivre religieusement ces exemples. Le confort, la qualité de vie, c’est aussi de pouvoir échapper au dictat des décideurs de tous poils et de fort mauvais goût qui ne respectent ni nos yeux, ni nos oreilles… Mais çà c’est une autre histoire !
Bravo Maître Jacques (j’ai failli dire Frère Jacques) pour avoir sonné les cloches en choisissant une voie aussi magistrale… De la belle ouvrage !
Jean Pierre Michel
(A suivre)